Un
grand-père qui était à la guerre 1914-1918
comme artilleur raconte.
Il avait plus de 80 ans à
l'époque de l'interview.
Son témoignage dans
les 3 colonnes ci-dessous.
Le carnet de campagne de Abel
Comment
s'est fait le départ pour la guerre ?
Quand on est
partis à la guerre, on est partis de La Rochelle, nous étions
tous joyeux : on se voyait arriver à Berlin le lendemain. On
se disait : la guerre va être vite terminée.
Et puis, ma foi,
quand on a été montés dans le train, on s'est
mis à pleurer. Pourquoi ? On allait à la guerre, on
laissait ses parents, on laissait ses enfants...
— Comment étiez-vous habillés
?
— Au début, on était habillés, nous artilleurs,
avec un pantalon qui avait une bande rouge sur le côté,
mais après, on a eu des uniformes qui étaient bleu horizon.
Ceci de façon que l'ennemi ne nous repère pas de loin.
—
Est-ce que vous faisiez des prisonniers ?
— Le 24° d'artillerie ne faisait pas de prisonniers, ou
rarement. Les prisonniers étaient faits par l'infanterie. Les
fantassins sortaient des tranchées, pendant que les tirs de
barrage de l'artillerie commençaient. On tirait en avant de
notre infanterie, pour protéger son avance. À mesure
que l'on mitraillait au devant, les Allemands étaient obligés
de reculer ; et là nos fantassins rentraient dans les tranchées
ennemies, et ils faisaient prisonniers tous ceux qui n'avaient pu
reculer et qui n'étaient pas morts.
C'était
partout le même charnier, on ne passait que sur des corps humains,
on était entourés de trous d'obus.
Comment
se passait la vie sur le front ?
Nous étions
ravitaillés la nuit, du côté français comme
du côté allemand, ce qui fait que nous avions un petit
répit de minuit à 2 h du matin.
On nous apportait
des haricots, qui étaient souvent aigres ; mais il fallait bien
les manger quand même il n'y avait pas autre chose.
Pour boire c'était
assez difficile, il n'y avait pas de vin ; alors on sortait de sa cabane,
de son terrier qui n'était pas très profond (parce qu'à
Verdun il n'y avait que du rocher), donc on sortait de son terrier pour
se débarbouiller dans l'eau d'un trou d'obus, où peut-être
il y avait un cadavre ; pour boire, on mettait un peu de teinture d'iode
dedans pour désinfecter.
À Monceau-les-Provins,
je me rappelle encore ce patelin, la route était encombrée
de cadavres.
En plus de toutes
ces misères, nous étions pleins de poux, de vermine et
encore, nous artilleurs, il ne fallait pas trop nous plaindre car nous
avons moins souffert que les fantassins parce qu'eux cela leur arrivait
d'être continuellement dans l'eau, nuit et jour, au fond des tranchées.
Beaucoup ont eu les pieds
gelés.
Avez-vous
été blessé ?
Grand père
Abel et ses compagnons
autour de leur canon.
Non, quelques petits
éclats d'obus c'est tout. Mais une fois, j'ai été
enterré dans un trou d'obus : je venais de déjeûner
avec les camarades et ils m'ont vu disparaître dans le trou mais
ce n'était pas grave.
C'est tout ce que
j'ai eu en 4 ans. Et pendant ces 4 ans, je n'ai eu que 4 permissions
de 8 jours pour voir ma famille.
Comment
êtes-vous revenu de la guerre ?
La guerre a fini en 1918. Je me trouvais alors vers Compiègne
; le matin : grande nouvelle « la guerre est
finie » pensez bien que tout le monde était
heureux.
Après l'armistice
signé, j'ai passé quand même encore plus d'un an
avant de revenir à la maison.
Je suis rentré
à la maison, démobilisé, le 19 décembre
1919...
5 ans après être parti.